« Jamais contents », poème de Zoran Kompanjet, poète d’Opatija (1919-2003)
1.
Tone et Joze boivent lentement
et regardent dans le vide,
il est temps de rentrer chez eux.
Il y a quelque chose qui les gêne tous les deux,
comme s'ils avaient dans leurs ventres
un noyau dur.
Quand les fourmis dans sa tête
avaient commencé à bouger,
Tone parla le premier
"Auh, comme c'est difficile d'être seul!
Tu rentres du travail,
la chambre est vide,
froide et trop grande.
Quand tu as mal quelque part,
il n'y a même pas un chien
à tes côtés.
Il te semble
qu'il n'y a aucun sens
ni de peiner ni de vivre
quand tu n'as personne
avec qui rire,
à qui se plaindre,
à qui se vanter.
Il doit être beau
quand chez toi t'attend
une assiette chaude
et un mot tendre
de la femme qui t'aime bien.
Quand les gamins
sautent sur ton dos
caressent ton cou,
te font des bisous sur la barbe
et cherchent dans tes poches du chocolat.
Joze remplit lentement leurs verres
et regarde Tone dans les yeux.
"Toi et moi on a grandi ensemble,
nous étions ensemble à l'école et
faisions le service militaire,
mais malgré tout cela,
je ne te comprends pas.
Parce que qu'est-ce qu'il y a
de plus beau
sinon d'être jour et nuit
libre toujours?
Maître de soi-même,
si tu veux ou non te coucher ou aller au bar,
faire des économies sur ton salaire ou
n'avoir même pas de quoi acheter du poivre.
Et qu'est-ce qu'il y a de plus difficile
sinon quand ta femme cancanière
te coupe chaque mot,
quand elle visite les poches
de ta veste, de tes pantalons,
lorsqu'elle visite ton âme,
où tu étais et où vas-tu?
Quand tu dois l'ammener partout
et en plus, sa mère la rejoint?
Quand tes enfants se bagarrent
arrachent ta nouvelle chemise
un jour ils te nent des coups sur la tête
et l'autre jour sur le dos?
Quel est le sens,
tant d'années
ne vivre que pour les autres?
2.
Il ne fallait pas trop attendre.
Dès que l'avril ait chauffé
la terre et le sang,
Tone s'est marié.
Joze, rassasié et davantage de sa famille,
a divorcé.
3.
Petit à petit,
le temps, innaperçu, passait.
Tone et Joze se sont rencontrés de nouveau
et ont dit l'un à l'autre:
"Tu avais rasion, toi!